De Vivaldi à Rasmussen
L’approche musicale de Karl Aage Rasmussen pose la question de la pertinence d’une appropriation de la musique ancienne uniquement fondée sur une approche interprétative historiquement informée. Posée comme un dogme intangible, cette approche a nourri l’imaginaire de nombre d'interprètes qui dans un premier temps, avec sincérité et passion, ont apporté un souffle totalement révolutionnaire à la ré-interprétation de ce répertoire.
Avec le temps et le recul, on s’aperçoit que cette vision a néanmoins une limite : on peut choisir de jouer des instruments en tout point conformes à ceux du siècle de Vivaldi, on peut se donner les moyens de recréer le geste musical historique approprié et d’intégrer l’environnement culturel d’une époque précise, mais on ne peut pas recréer la psychologie et l’écoute des auditeurs de l’époque, car celles-ci sont façonnées par le temps présent.
Rasmussen, compositeur de notre temps et amoureux de musique ancienne, pose la question pertinente de l’évolution de cette écoute vis à vis de la musique patrimoniale. Voici une partie de sa pensée :
"Dans le monde de la musique, l'idée est largement répandue que la musique devrait idéalement sonner exactement comme elle l'était lorsqu'elle a été composée, c'est-à-dire être jouée en fonction des coutumes et des conditions qui prévalaient à cette époque particulière. L'interprétation musicale, cependant, est toujours ancrée dans le présent, elle est inévitablement sujette aux concepts de l’époque et inévitablement soumise aux cadres conceptuels qui s'appliquent au moment où elle est jouée. Et la partition, les textes, les notes ou les mots, cachent autant qu'ils révèlent. Il n'y a pas de ligne idéale à adopter, pas de vérité - l'œuvre n'existe que comme une approche sans cesse renouvelée. Les notes sont de la musique endormie ! Chercher l'œuvre dans une forme définie, c'est comme chercher l'obscurité avec une bougie à la main."
C’est précisément cette vision qui nourrie sa relecture du chef d’œuvre de Vivaldi. Ainsi, poursuit-il :
"J'ai eu envie d'entendre comment les Quatre Saisons de Vivaldi pourraient sonner si des oreilles modernes les entendaient avec le même étonnement que celui qu'a dû ressentir le public de Vivaldi, non pas en changeant la composition en tant que telle, mais simplement en soulignant les aspects de la musique qui annoncent les périodes ultérieures sur le plan du rythme et de l'idiome musical."
Il termine ainsi, en dévoilant quelques fragments de sa « philosophie artistique » :
"Lorsque ce qui se passe est (presque) exactement ce que nous attendons, l'expérience musicale peut perdre sa capacité à déployer un morceau de vie sous une forme comprimée, mentale. Car la vie n’est jamais complètement prévisible."